jeudi 27 février 2014

«Qui éduquera les éducateurs?»

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Pierre Raymond Dumas
Dans les cas de conflits entre professeurs et étudiants, la difficulté n’est pas tant, comme le croient pompeusement les décideurs, de fermer les centres d’enseignement ni de recourir au silence ou à la force pour avoir le dernier mot. Deux semaines après la fermeture du campus Henry Christophe de Limonade (depuis le lundi 27 janvier 2014), 18 professeurs avaient exigé sa réouverture. Voulant reprendre le chemin de la faculté, 326 étudiants de l’INAGHEI ontsigné le 12 février 2014 une pétition pour demander au rectorat de l’UEH de trouver une solution afin d’assurer la reprise des activités académiques (arrêtées depuis octobre 2013),  depuis cinq longs mois.

Comment peut-on éviter de pareilles crises ? Que faire pour les résoudre de façon rapide et satisfaisante pour toutes les parties ?

Le milieu universitaire haïtien n’a pas échappé, au cours de ces deux dernières décennies, aux transformations et aux soubresauts de tous ordres qui ont perturbé la vie nationale. Bousculé par l’explosion démographique, l’affaiblissement de l’autorité de l’État et la perte des valeurs traditionnelles. Le monde d’hier, régi par la dictature macoute, a disparu. Comme on le sait, des crises à répétition, provoquées bien souvent par des luttes de personnes et des décisions funestes, des manipulations politiciennes et des mouvements contestataires (Je pense ici immédiatement aux facultés des sciences humaines et de l’ethnologie) ont laminé le prestige, les valeurs citoyennes  et l’esprit hautement formateur propres à une université digne de ce nom. Comme notre confrère Daly Valet, il faut affirmer que la fermeture des centres universitaires pour une durée indéterminée, faute de ressorts de conciliation ou de structures de prévention et de résolution des conflits entre professeurs et étudiants, ne peut pas être érigée en norme ou en méthode de gestion. Or c’est souvent ainsi que l’on procède aujourd’hui. Nous voilà décidément loin de «l’ère nouvelle» et de ses thuriféraires gendarmes aguerris. La vraie question ici est celle que posait Karl Marx jadis: «Qui éduquera les éducateurs ?» C’est-à-dire où donc notre société trouvera-t-elle cette cohorte infiniment agissante de responsables avisés et de médiateurs désintéressés qui lui fournit sa cohésion, voire son supplément d’âme, pour que l’éducation, la formation des jeunes soit effectivement la priorité des priorités ? Dans cet ordre d'idées, ce n'est pas un seul cardinal Langlois qu'il nous faut, mais une bonne quantité, de surcroît efficients et décisifs. Créer dans notre pays des voies permanentes du dialogue, du vivre-ensemble et de résolution pacifique des conflits devrait être justement l’une des grandes attributions de l’université. Sur quelles fondations poserons-nous finalement l’édifice de nos réformes, de nos biens communs, de nos projets définis, de nos principes partagés ou de nos valeurs ancestrales, si le socle nourricier – l’éducation, l’université – est fissuré, envahi de toutes parts par le feu ?

Pierre Raymond Dumas
Source: Le Nouvelliste

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